Carlos Ghosn
Président-Directeur Général
RENAULT
Mardi 9 décembre 2014
Convergence dans un monde qui diverge
Compte-rendu
Pour sa dernière édition 2014, le Club Les Echos, en partenariat avec Kurt Salmon, recevait le 9 décembre Carlos Ghosn sur le thème " Convergence dans un monde qui diverge". Diplômé de l’école Polytechnique, Carlos Ghosn est un excellent connaisseur de l’industrie automobile pour avoir passé 18 ans chez Michelin et près de 18 ans chez Renault et Nissan. Connu pour ses talents managériaux et une dimension fortement internationale, ce franco-libano-brésilien présente la particularité d’être aujourd’hui le PDG de Nissan (depuis 2001), de Renault (depuis 2005) et Président du Conseil de surveillance du constructeur russe AvtoVaz (depuis 2013). A la tête d’une structure qui détient 10% du marché mondial de la construction automobile, Carlos Ghosn demeure le symbole et l’incarnation d’une forte convergence industrielle.

La gestion des différentes relations dans lesquelles Renault est impliqué ne constitue-t-elle pas un facteur supplémentaire de complexité là où il faudrait davantage de simplicité ? Jusqu’où peut-on mener un modèle de convergence tel que celui qui réunit Renault et Nissan ?

Nous avons développé différents types de collaboration : l’Alliance entre Renault et Nissan, la coopération avec AvtoVaz ainsi que le partenariat stratégique avec Daimler. Cette démarche suit une logique implacable fondée sur un constat simple : l’industrie automobile reste très compétitive, avec un foisonnement et une divergence de produits, de technologies et de marchés.
  • En termes de divergence technologique, il y a 20 ans, les constructeurs développaient des moteurs à essence et des moteurs diesel ; aujourd’hui, au-delà de l’essence et du diesel, il existe du gaz naturel, du flex fuel, des hybrides, de l’électrique, de l’hydrogène, etc.
  • En termes de divergence de produits, il y a 20 ans, il existait 2 à 3 modèles de voitures ; aujourd’hui, on constate une explosion des formes avec les 4x4, les low cost, les voitures haut de gamme, les pick-up trucks, les utilitaires sous toutes leurs formes, etc.
  • En termes de divergence de marchés, il y a 20 ans, 3 zones géographiques (L’Europe, les Etats-Unis et le Japon) représentaient 75% du marché automobile ; aujourd’hui, il y a la Chine, l’Inde, la Russie, l’Asie du sud-est, le Brésil, et toute l’Amérique du Sud qui constituent des marchés majeurs.

Avec des divergences aussi importantes en termes de technologies, de produits et de marchés, il est nécessaire de créer des convergences pour réussir dans l’industrie automobile. Celles-ci concernent les investissements, les technologies, les produits, et surtout les hommes puisqu’il s’agit de faire travailler 450 000 employés dans le cadre de L’Alliance Renault-Nissan. Il faut structurer un ensemble dans lequel les russes, les chinois, les japonais, les français (qui sont nos principales populations employées) sont fiers de travailler pour leur entreprise. Et si jamais ils ont le sentiment de travailler pour quelqu’un d’autre qui leur est étranger, ils se contenteront du minimum. Il est donc nécessaire de fédérer les équipes, d’amener chacun à bien comprendre les objectifs de l’entreprise et à donner le meilleur de lui-même. L’essentiel du management réside donc dans la convergence, i.e. le fait d’amener des gens d’horizons très différents, de fonctions différentes, dans des pays différents, avec des potentiels différents, vers un seul objectif et vers une seule stratégie.

Pour les entreprises comme pour les nations, il faut travailler ensemble mais sans que cela ne constitue une menace pour l’identité de chacun, et c’est tout le problème du management du XXIème siècle. Il faut respecter l’identité de chacun car tous les conflits au sein des entreprises comme des nations partent de la peur de ce qui est différent. Le secret de notre Alliance réside dans le fait que le partenariat n’est pas fondé sur un rapport de force.

Avec 8 pays émergents parmi ses 15 premiers marchés (dont 3 pays dans le top 5), Renault est le reflet d’un groupe bipolaire. Quel est l’avenir de Renault dans les marchés émergents et comment gérer cette dichotomie qui va de pair avec des risques politiques et des risques de change ?

Les pays émergents constituent l’avenir de Renault et de l’industrie automobile. De 20% du marché mondial de l’automobile il y a 5 ans, ces pays sont passés à 50% aujourd’hui ; dans les prochaines années, ils représenteront 2/3 du marché mondial de l’automobile. Cette évolution est le fruit de deux phénomènes :
  • Les pays développés ont atteint des niveaux de motorisation stabilisés avec 700 voitures pour 1 000 résidents aux Etats-Unis, 550 en Europe et 500 au Japon. Ces marchés ne vont pas sensiblement évoluer dans les prochaines années en raison de la stabilité de leurs démographies.
  • A l’inverse, les pays émergents sont à des niveaux de motorisation très faibles avec 300 véhicules pour 1 000 habitants en Russie, 200 au Brésil, 100 en Chine et 20 en Inde. Il est bien entendu inenvisageable que ces pays émergents en restent à ce niveau car les Etats procèdent à des investissements significatifs dans les infrastructures et la voiture reste l’un des premiers produits qu’achètent les nouvelles classes moyennes. Les marchés émergents présentent ainsi un nombre très important de personnes achetant une voiture pour la première fois. A titre d’exemple, sur les 20 millions de voitures achetées chaque année en Chine, 80% (soit 16 millions) concernent des personnes achetant un véhicule pour la première fois.

Pour exister dans les 30 prochaines années, il est donc nécessaire que Renault renforce sa présence dans ces marchés émergents. Nous allons ainsi ouvrir une usine en Chine en 2016 et doubler notre capacité de production au Brésil. Nous avons déjà une usine en Inde. Quant à la Russie, Renault, Nissan et Avtovaz y possèdent déjà 1/3 du marché.

Le développement dans les pays émergents présente toutefois des difficultés. Ainsi, au cours du 1er semestre 2014, les évolutions de taux de change ont eu un impact négatif sur notre chiffre d’affaires de l’ordre de 800 millions d’euros. La seule solution aux risques de change réside dans la localisation à outrance de sorte à ce que les coûts de production soient libellés dans la monnaie de la vente. A cet effet, il est nécessaire d’avoir des usines dans les pays émergents ainsi qu’un grand nombre de fournisseurs locaux.

Concernant les produits du Groupe, 2014 a été une année riche en nouveautés avec par exemple la Twingo et le nouvel Espace, le renouvellement de la gamme va-t-il se poursuivre en 2015 ? Renault sera-t-il plus audacieux ?

L’offensive sur les produits va continuer en tenant compte du cycle technologique qui est de 5 ans dans l’industrie automobile. La performance d’aujourd’hui est en effet le fruit d’un travail entamé depuis 5 ans.

Quant à l’audace, Renault a toujours été un Groupe audacieux à plusieurs égards :
  • Renault a sorti la voiture électrique qui constitue un projet clivant. Avec 200 000 véhicules électriques vendus, Renault est le leader incontestable dans ce domaine.
  • Renault a osé le low cost d’une part avec la Logan (alors même que construire un véhicule robuste et peu cher nécessite une ingénierie poussée) et d’autre part avec Dacia (qui est la marque qui a le plus progressé en Europe ces dernières années).
  • Renault a mis au point l’Espace qui était le 1er mini-van.
  • Renault est par ailleurs le plus avancé des constructeurs automobiles en termes de partenariat avec d’autres entreprises (Nissan, Daimler, Avtovaz).

Cependant, si on entend par « audacieux » le fait de travailler sur une voiture sans chauffeur, tel ne semble pas être l’avenir de l’automobile. La voiture repose sur le principe du transport autonome d’un être humain. De ce point de vue la voiture sans chauffeur reste un non-sens qui soulève en outre le problème de la responsabilité des constructeurs. Nous ne voulons pas passer notre temps à développer des projets qui sont sans valeur pour le marché.

A contrario, Renault préfère préparer la voiture de demain en se fondant sur 3 tendances fortes avec des signaux visibles :
  • Les enquêtes auprès des jeunes révèlent de fortes attentes concernant davantage de temps disponible dans la voiture ; nous travaillons donc sur des voitures plus autonomes et sur le renforcement de la connectivité de la voiture avec le domicile et le lieu de travail.
  • Le réchauffement climatique renforce la certitude d’un monde physiquement limité, ce qui rend incontournables les technologies zéro émission ; nous travaillons donc à développer notre offre de véhicules électriques.
  • Le boom des Pays émergents, notamment la démographiquede l’Afrique conduira à 1 milliard de personnes supplémentaires sur ce continent dans 20 ans. Nous travaillons donc à un meilleur positionnement sur ce continent à fort potentiel démographique, avec des richesses importantes et de plus en plus d’investissements.


par Meïssa Tall (Associé) Kurt Salmon
et Nicolas Simel Ndiaye (Consultant) Kurt Salmon
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