Emmanuel Macron
Secrétaire général adjoint de la Présidence de la République

Jacques Attali
Economiste
Jeudi 16 janvier 2014
Les défis de 2014 pour la France
Compte-rendu
Le Club Les Echos s’interrogeait jeudi 16 Janvier sur Les défis de 2014 pour la France en présence de Jacques Attali et d’Emmanuel Macron. Quelles réponses attendre respectivement de l’ancien conseiller spécial, «sherpa » de François Mitterrand et du secrétaire général adjoint actuel de François Hollande deux jours après la conférence de presse du Président de la République, précisant la feuille de route « sociale-démocrate » du gouvernement? Conseillers d’hommes politiques, hommes de recommandations, ces deux intervenants proches du parti socialiste et du gouvernement, proposent une démarche et des solutions pour répondre au grand défi de 2014 pour la France : sortir de la trajectoire descendante. Jacques Attali donne le la dès le début :
« J’en veux comme citoyen à ceux qui ont dirigé ce pays pendant les dix dernières années. »
Les solutions font écho aux voeux du Président qui s’appuient sur l’énonciation claire de réformes puis la réalisation de ces dernières.

Les engagements de l’Etats sont forts et cela marque une accélération et une clarification plutôt qu’un tournant, « donner collectivement de la visibilité » : un « pacte de responsabilité » à signer avec les entreprises, des dépenses publiques à réduire, un maillage territorial à réviser, une organisation administrative à simplifier, une transition énergétique à assurer et un projet européen à construire. « L’option est levée » selon Emmanuel Macron, le Président français doit maintenant s’attacher à la mise en oeuvre de ces réformes, même si elles s’avèrent impopulaires. Jacques Attali soutient ce point de vue en rappelant ce que François Mitterrand avançait comme première qualité chez un homme d’Etat : « J’aimerais vous répondre le courage, mais c’est l’indifférence ».

Mais assumer jusqu’au bout le poids politique des décisions qui ont été annoncées ne semble pas aller de soi. L’objectif de 65 Mds€ de réduction de la dépense publique entre 2014 et 2017 paraît réaliste au vu des 90 Mds€ d’économies potentielles qui avaient été chiffrées par la commission chargée d’étudier « les freins à la croissance » qu’il présidait en 2007, et à laquelle Emmanuel Macron participait. La réalisation de ces chiffres théoriques doit toutefois s’intégrer dans une démarche collective, aussi bien au niveau national qu’international. L’effet négatif sur l’emploi des réformes est réel à court terme, notamment celui de la baisse des dépenses publiques et la révision du découpage territorial, et nécessite donc une adhésion des Français au concept « d’économie positive » avec une vision long terme pour passer outre, tel que défini par Jacques Attali dans son rapport à François Hollande en 2012.

Premier cité lors des voeux présidentiels, le pacte de responsabilité attire l’attention car il soulève la question de l’emploi. Si son pendant concernant la baisse des charges est bien compris, comment imposer aux entreprises de s’engager sur un volume d’emploi ? Jacques Attali met en garde sur toute information chiffrée et notamment sur l’effet d’aubaine. La réponse n’est pas dans la volumétrie non plus pour Emmanuel Macron, mais plutôt dans la trajectoire à initier en passant par des contrats aidés, des formations, de l’investissement privé. Les résultats seront néanmoins difficiles à obtenir dès cette année, les prévisions de croissance étant inférieures au seuil historique de création d’emploi (entre 1.3% et 1.5%), et le conseiller de François Hollande a confirmé qu’il était essentiel que les entreprises tiennent leurs engagements notamment concernant le volet social.

Pour Jacques Attali, la formation professionnelle est également essentielle et reste la grande oubliée de cette année 2014 : Sur les 32 Mds€ de financement de la formation professionnelle, 20 Mds€ ne sont pas concernés par l’accord de décembre 2013. Or, la qualification des emplois est primordiale pour créer de la valeur ajoutée et devrait faire partie intégrante du pacte de responsabilité, en particulier en ciblant les citoyens à la recherche d’emploi ceux pour qui c’est le plus nécessaire.

En ce qui concerne la réforme territoriale, la difficulté réside dans la répartition des responsabilités. Jacques Attali considère que la clef réside dans la rapidité d’exécution qui doit être associée à une forte volonté politique - c’est là que les efforts précédents n’ont pas aboutis. Emmanuel Macron appuie la position de François Hollande, qui préconise de donner aux régions un pouvoir d’expérimentation et de leur déléguer un pouvoir réglementaire. Cette liberté laissée aux institutions territoriales en leur donnant plus de moyens doit néanmoins se faire à la condition que ce soit des espaces « signifiants » capables de diminuer leurs coûts de gestion et d’assumer des responsabilités politiques accrues à venir. Sur le devenir des départements, les avis divergent entre les deux hommes ; Jacques Attali préfèrerait voir les départements absorbés par les agglomérations, Emmanuel Macron par les pôles métropolitains ayant désormais une existence légale. Comme le disait le Cardinal de Retz, « on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ».

A plus grande échelle, la France doit aussi trouver sa place au sein de l’Europe. L’hexagone n’a pas encore connu de redressement comme l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce à la fois contraints et portés par leurs obligations européennes. « Un pays ne réagit que lorsqu’il est menacé » et la France ne se sent pas suffisamment menacée avance Jacques Attali, elle laisse partir ses créateurs en se reposant sur sa rente, alors qu’elle est en position toujours délicate et pourrait être la prochaine victime des attaques si elle ne réagit pas.

Il faut une gouvernance européenne stable pour Emmanuel Macron, basée sur une solidarité et un regain de sens qui s’appuie sur des projets concrets comme l’union bancaire européenne et la transition énergétique. Le fédéralisme de l’Eurozone passe pour Jacques Attali par un élargissement de l’Union européenne et parallèlement par la création d’un parlement de la zone Euro stricto sensu, « entité nécessitant une base démocratique bien plus intégrée puisqu’en son sein circule une même monnaie ».

La francophonie fédérale est également essentielle pour la France selon Jacques Attali. La langue française est un trésor, un ticket d’entrée vers des locuteurs qui vont tripler dans les années qui viennent. Promouvoir cette langue et l’utiliser comme outil d’intégration économique pourraient permettre notamment d’accompagner l’Afrique dans sa forte croissance. Emmanuel Macron ajoute que la France a une relation unique avec ce continent, et que cette relation doit être (re)nouée en se débarrassant de nos complexes historiques et s’appuyer sur son appareil diplomatique.
« On peut être Européen et francophone »
conclut Jacques Attali.

Ce premier Club Les Echos de l’année, qui respectait la tradition de livrer une vision de la conjoncture en France à court terme, a permis d’éclaircir la vision du gouvernement selon ces deux hommes de Gauche, une France qui se doit de faire les grandes réformes annoncées par le Président lors de ses voeux 2014 sinon elle court à sa perte. Une nécessité pour la France si elle ne veut pas décrocher, prise en étau entre des pays qui ont su adapter leur modèle à temps, comme l’Allemagne et les pays du sud qui font maintenant des efforts drastiques et reviennent très rapidement dans la course. La France doit redresser la barre de dix années où elle n’a pas su prendre les décisions stratégiques nécessaires pour maintenir son rang. Elle a des atouts, ses infrastructures, sa démographie, la qualité de ses ingénieurs, ou encore son régime politique stable avec un chef clair qui peut tout décider, y compris de prendre des décisions impopulaires.

Emmanuel Macron en appelle au sens de l’effort collectif pour réaliser ces réformes nationales et à l’entente Franco-Allemande au niveau européen. Jacques Attali va plus loin, demandant l’élargissement de ces réformes à la formation professionnelle et au développement de la francophonie fédérale. Il faut que le gouvernement «mérite son impopularité par les réformes entreprises ».


Par Chiheb Mahjoub – Président et CEO chiheb.mahjoub@kurtsalmon.com
Marie Garnier – Directeur marie.garnier@kurtsalmon.com
et Arnaud Prigent – Consultant arnaud.prigent@kurtsalmon.com
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