Henri Proglio
Président-Directeur Général
EDF
Jeudi 10 avril 2014
Energie et compétitivité
Compte-rendu
Le 10 avril 2014, le club Les Echos Débats en partenariat avec Kurt Salmon et Invest In Reims recevait Henri Proglio, Président-Directeur Général d’EDF autour du thème « Energie et compétitivité».

Seul patron à avoir dirigé deux groupes du CAC 40, Henri Proglio débute sa carrière chez Veolia en 1972, à l’époque Générale des Eaux, avant d’être successivement patron en 2000 de Vivendi Environnement (le pôle Environnement de la Générale des Eaux) et Président-Directeur Général de Veolia Environnement à partir de 2002. En automne 2009, il devient Président-Directeur Général du groupe EDF qu’il s’attache à replacer au centre de la filière nucléaire française à travers une réduction de son endettement, une amélioration de sa rentabilité et une internationalisation de ses activités. Le succès de cette politique industrielle a notamment débouché sur la signature en octobre 2013 d’un accord portant sur la construction et l’exploitation de deux réacteurs nucléaires de nouvelle génération au Royaume-Uni, pour un contrat estimé à dix-neuf milliards d’euros.

Le débat s’inscrit dans l’actualité de la mise au débat parlementaire du projet de loi de programmation sur la transition énergétique annoncé pour la fin du premier semestre 2014. Henri Proglio a toutefois tenu à rappeler en propos liminaires que c’est à la lumière de l’Histoire qu’il faut envisager le secteur de l’énergie, un des moteurs du progrès industriel et de l’évolution des modes de vie : la révolution industrielle a bien été permise par l’avènement des machines fonctionnant au charbon, au 20ème siècle la croissance occidentale a essentiellement été portée par le pétrole, l’énergie nucléaire constitue un facteur d’indépendance énergétique pour la France.

« Dans l’économie mondiale, l’énergie est un facteur de différenciation pour la compétitivité des entreprises et des pays et pour le pouvoir d’achat des citoyens »

Henri Proglio rappelle que la croissance économique a été permise par une énergie de moins en moins chère. Dans les entreprises, le coût des énergies constitue la première dépenses après celui du travail puisqu’il représente en France jusqu’à plus de 40% du coût de production des industries électro intensives. La facture énergétique étant moins sensible à piloter que l’optimisation de la main d’œuvre, il s’agit d’un élément de différenciation de premier plan pour les entreprises, françaises notamment dont les marges de manœuvre sont parmi les plus faibles de la zone Euro.

L’énergie est aussi un critère de compétitivité à l’échelle des pays. C’est d’autant plus vrai dans un contexte de plus en plus globalisé, avec des disparités régionales qui se creusent depuis une dizaine d’années. Une production domestique compétitive aux Etats-Unis a entrainé des prix du gaz et de l’électricité deux fois moins élevés qu’en Europe et des prix gaziers trois fois moins élevés qu’en Chine. Une baisse des coûts de production rend ainsi possible la relocalisation d’industries pétro chimiques vers les Etats-Unis : un exemple particulièrement significatif est celui de la production de l’éthylène dont le coût est estimé à 300$/tonne aux Etats-Unis contre 1700$/tonne en Asie. Le gain de PIB américain résultant d’une énergie compétitive est d’ailleurs estimé à plus de 400 milliards de dollars.

« L’évolution du bouquet énergétique s’oriente de plus en plus vers l’électricité »

A l’échelle européenne, la question du bouquet énergétique se pose au regard des enjeux d’approvisionnement, de prix, des contraintes environnementales et d’acceptabilité sociale.

En plus de l’impact environnemental induit par les émissions de gaz à effet de serre, les énergies fossiles rencontrent plusieurs limites :
  • Sur les approvisionnements, la dépendance à l’égard des importations d’énergies fossiles et notamment du gaz est de plus en plus forte ;
  • Malgré un impact positif sur la balance commerciale, une production domestique de gaz de schiste n’aurait pas forcément d’effet significatif sur les prix puisque le coût de revient ne serait pas inférieur à 10$/Mbtu - un niveau actuellement observé sur le marché du gaz. Par ailleurs, l’inertie décisionnelle et le délai d’identification des sites de production et d’obtention des permis rendent peu probable une exploitation à moyen terme ;
  • Après un niveau historiquement bas du prix du charbon, notamment sous l’effet d’importations massives en provenance des Etats-Unis, une remontée progressive est attendue, accentuée par le surcoût dû au prix de marché des permis d’émissions de gaz à effet de serre.

Encourager un usage accru de l’électricité en substitution des énergies fossiles doit permettre de relever le défi de la compétitivité. Le potentiel de développement repose sur les technologies conventionnelles (parc nucléaire et hydraulique) et renouvelables à condition que ces dernières soient compétitives et que leur développement soit maitrisé : en particulier, les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables devront être rationnels, cohérents avec les réalités économiques. Rappelons l’exemple allemand : porté par des subventions qui s’élevaient à 1 200 milliards d’euros, le développement massif des énergies renouvelables électriques intermittentes a eu pour conséquences une utilisation accrue des centrales à charbon (équivalent à +1,5% entre 2012 et 2013 dans le bilan énergétique primaire allemand) et des ventes à prix négatif (jusqu’à -60 euros/MWh) de la surproduction d’électricité éolienne allemande au système électrique polonais.

« Préparer l’avenir, c’est se remettre à faire beaucoup d’efforts de recherche »

A l’instar des Etats-Unis et de l’Allemagne, la France devra intensifier ses efforts de recherche si elle veut être reconnue comme un leader dans les filières durables.
L’importation de gaz et de pétrole en France représente 68 milliards d’euros, soit 97% du déficit commercial. Les secteurs du bâtiment et des transports pèsent 70% dans la consommation d’énergie. Pour permettre la substitution des énergies fossiles par l’électricité, les leviers sont multiples :
  • Mener une politique ambitieuse en matière de transport et d’efficacité énergétique ;
  • S’appuyer sur un parc nucléaire existant produisant une électricité décarbonée et déjà compétitive : notre électricité est 40% moins chère que la moyenne européenne, avec une empreinte environnementale réduite (le CO2 pèse environ 60g pour 1 KWh d’électricité produite, le niveau que souhaitent atteindre les pays européens en 2050) ;
  • Investir dans la recherche vers des technologies peu matures ou pour faire émerger des filières locales (biomasse, traitement des déchets, stockage d’électricité, énergies marines) : EDF est le plus grand investisseur européen, avec chaque année une enveloppe de plus de 15 milliards d’euros ;
  • Bâtir une stratégie industrielle dans les énergies renouvelables et le nouveau nucléaire en gardant des coûts inférieurs à 100 euros/MWh.

Le débat s’est ensuite ouvert sur les conséquences de l’arrêt annoncé de la centrale de Fessenheim prévu en 2016 : si la fermeture se concrétisait, les indemnisations accordées à EDF devraient permettre le financement intégral de l’opération. Sur la place du nucléaire, Henri Proglio rappelle que les défis s’inscrivent dans une vision à long terme et pas uniquement sur quelques années :
  • Continuer à produire une électricité compétitive grâce aux ressources actuelles (hydroélectricité, nucléaire) ;
  • Remplacer progressivement les unités de production rendues obsolètes ;
  • Afin de répondre aux besoins accrus en électricité, construire des capacités de production supplémentaires tout en en contrôlant le développement afin de ne pas amputer le pouvoir d’achat.

Sur ce dernier point, la capacité existante ne couvrirait que 60% des besoins futurs et laisserait donc une place significative aux énergies nouvelles, rendant ainsi possible l’objectif de réduction du poids du nucléaire dans le mix électrique.

«Il faut aller chercher à l’international une ambition à la hauteur des réussites technologiques de l’Equipe de France du nucléaire »

Les réussites de l’« équipe de France du nucléaire » sont multiples : une construction en un temps record (moins de deux décennies) des 58 réacteurs du parc, un bilan remarquable en matière de sureté. Forte de ses succès historiques, la France doit aller chercher à l’international les partenariats qui lui permettront de maintenir son tissu industriel et d’être reconnue comme la référence du nucléaire. Le partenariat de longue date avec la Chine (deux EPR en construction à Taishan) et le récent contrat gagné avec le Royaume-Uni en sont deux exemples réussis. D’autres potentiels sont à trouver en Europe Centrale, Europe du Nord, Brésil, Inde, Russie.

Sur la question des coûts de réseaux, Henri Proglio évoque des investissements récurrents d’environ 3 milliards d’euros par an avec une évolution plutôt stable, auxquels pourraient s’ajouter les coûts nécessaires pour supporter la pénétration d’énergies intermittentes. Le déploiement des compteurs intelligents Linky est une étape clé dans la mise à niveau du réseau, mais l’investissement de 6 milliards d’euros n’impactera pas la facture finale puisque les dépenses seraient compensées par les gains opérationnels (gains sur les relèves, réduction des fraudes).

Les dernières questions ont été l’occasion d’aborder le programme de prolongation des centrales « grand carénage » et le renouvellement du parc. Les coûts du « grand carénage », estimés à 55 milliards d’euros, devraient être couverts par les revenus d’exploitation, à condition que ces investissements soient réalisés avec les bonnes anticipations.
Club Débats - Henri Proglio
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